Bilan avec un point d’interrogation — Jo-Anna

[Jo-Anna est à Lisbonne depuis début octobre, dans le cadre du programme de mobilité Erasmus+. A mi-chemin de cette expérience, c’est le moment de faire le point.]

Cinq mois.

Moitié moitié. Entre avant et après.

Là où j’en suis aujourd’hui ne peut se raconter sans une allusion un moment donné à là où j’en étais hier.

Sofia, directrice du Centro em Movimento, lieu dans lequel je fais mon stage, nous pose régulièrement ces deux questions: « o que que tu estas a fazer no cem? o que que tu estas a aprender? »

Ces questions qui déboulent n’importe quand me laissent parfois pantoise.

Et je pourrais très bien répondre que j’apprends à apprendre.

J’apprends à découvrir mon corps. J’apprends à essayer, assumer, me tromper. J’apprends à déformer, me déformer. A lutter contre la dichotomie de la bonne réponse et de la mauvaise. J’apprends à être rigoureuse. Dans la vie. Etre rigoureuse dans le fait même d’exister. Dans le ser, estar et fazer.

J’apprends l’autonomie. J’essaye de lui donner une définition.

Alors il m’est difficile de raconter ce que ce stage m’apprend en terme de professionnalisation. Puisque je suis mesmo en train de déconstruire ma vision du professionnalisme.

J’ai la chance d’expérimenter des formes de pratiques artistiques, notamment la danse, et de les questionner. Et ma rencontre avec le Centro em Movimento vient me confirmer qu’il ne peut y avoir d’art sans rencontres avec la vie. Tout comme il ne peut y avoir de rencontre sans déformation de soi même.

Entao, o que que estou a fazer?

Assumer.

Essayer.

Faire confiance. En moi. En l’autre.

Perdre le sentiment de peur.

Me déformer en somme.

Hier. Avant. Là où j’en étais. Quelqu’un d’autre assurément. Quelqu’un d’autre? Oui mais.

Ser Jo-Anna ontem foi ser uma outra forma de Jo-Anna.

Et je suis simplement entrain de déformer ces mots qui étaient déjà présents en moi mais qu’on aurait pu lire hier de cette manière:

Suaemr.

Saeesyr.

Afrei nocfainec. Ne imo. Ne a’lture.

(perdre) le sentiment de peur.

Et puis bien sûr aujourd’hui il y a aussi:

Apprendre le portugais. L’anglais.

Et je découvre que chaque langue n’est pas qu’une affaire de conhecimentos. Chaque langue a sa grammaire, son vocabulaire, ses règles mais elle possède aussi sa propre manière de créer de la pensée. Quero dizer, non pas que mes pensées soient radicalement différentes d’une langue à une autre, mais elles se transforment nécessairement. Puisqu’une phrase en portugais ne possède pas la même architecture qu’une phrase en français, mes pensées doivent alors épouser l’architecture nouvelle de la langue en cours d’apprentissage.

Et j’aime ce jeu de construction, de transformation, d’adaptation, de déformation.

Hier, après cinq mois de ma petite vie ici, j’ai passé ma première soirée, mon premier vrai dîner avec des personnes de langues portugaises. Seulement, uniquement, des personnes de langues portugaises. J’ai appris des choses sur chacun chacune, j’ai ri aux blagues, j’ai participé à un débat sur le goût de la coriandre, ai écouté avec passion l’histoire personnelle d’une amie à propos du conservatisme de ses parents, j’ai appris que le Brésil était l’un des plus important foyer d’homophobes au monde, on m’a conseillé des astuces pour mémoriser du vocabulaire, je sais faire la différence entre l’accent portugais et celui du Brésil.

Hier, après cinq mois de ma petite vie ici, en marchant dans la douceur de la nuit pour retrouver mon lit, j’ai remercié je ne sais qui de m’avoir mené ici.

Et après?

O que que vou fazer? O que que vou aprender?

Très certainement continuer d’aprender a aprender. Garder la conscience, même ailleurs, du ser, estar et fazer.

Envie de continuer à expérimenter les arts, la vie. Poursuivre le mouvement.