“A Noite”

A Lisbonne,

Le 20 janvier 2014

« A Noite »

  1. I.                   Préambule :

            Avant tout, je tiens à remercier José Carlos Garcia que j’ai eu la chance de rencontrer la semaine dernier au Chapitô.

C’est en passant par hasard dans ce lieu si magique et emblématique de Lisbonne (lieu où je vais faire mon stage !! promis, je vous en parlerai, mais, à un autre moment…) que l’on me présente José en tant que grand acteur et directeur artistique de « La Companhia do Chapitô ».

 

En discutant avec José,  j’apprends qu’il est le metteur en scène d’une pièce de théâtre qui se joue jusqu’au 19 janvier au Théâtre Da Trindade.

 

La pièce s’appelle « A Noite » et se passe dans les bureaux d’un journal à Lisbonne pendant  la nuit du 24 au 25 avril 1974…

Cool ! S’il y a bien une date que je retienne dans l’histoire du Portugal, c’est ce fameux 25 avril 1974…

 

C’est décidé, la franco-portugaise que je suis ira voir cette pièce.

 

Je propose à mon oncle Lisboète de m’accompagner dans ce voyage à travers l’histoire la plus caractéristique de cet autre pays qui est le miens.

Sa première réaction fut de me dire : « encore une pièce sur la nuit du 24 avril, il y en a tant eu… je n’ai pas spécialement envie d’en voir encore une autre…mais bon, si tu es seule, je viendrai avec toi…».

 

Entre temps, sa curiosité est telle, qu’il se rend sur le site du Théâtre et s’aperçoit que la plus part des acteurs font parti des meilleurs acteurs du pays : Vitor Norte, João Lagarto, Paulo Pires, Sofia Sa Da Bandeira, Joana Santos et d’autres noms qui, jusqu’à lors m’étaient inconnus.

 

J’oublie d’en parler à tous les stagiaires mais je partage avec mes colocataires mon envie pour cette pièce.

Ils sont dispo et motivés pour venir samedi, mais le théâtre est complet. Je ne réserve donc que deux places pour la dernière…

La dernière, c’était hier et le théâtre était de nouveau complet. Succès jusqu’au bout, wahoo !!

 

  1. II.                Théâtre da Trindade:

 

J’arrive une heure avant pour prendre mes places.

C’est la première fois que j’entre dans un vrai théâtre (ben, quoi, il n’est jamais trop tard !!).

Du coup, j’ai le temps de faire le tour du quartier avec mon oncle et de visiter secrètement les lieux avant que  les « trois coups de théâtre » ressurgissent…

 

Je suis stupéfaite par la beauté de ce théâtre, c’est juste magnifique et d’une grande classe.

Dommages, mon appareil photo me fait  faux-bond au moment où je veux capturer ce que j’ai devant les yeux.

De retour chez moi, je recherche alors l’histoire de ce théâtre et note les grandes lignes qui  s’en suivent.

 

 

 

 

Situé dans l’un des quartiers les plus anciens de Lisbonne entre le Chiado et Bairro Alto, le Théâtre da Trindade fut construit au XIXème siècle.

Témoignage de cette époque, o Trindade transporte avec lui la mémoire d’un temps où la bourgeoisie Lisboète se plaisait à assister aux représentations organisées par les théâtres  qui animent encore ce quartier: les théâtres Sao Carlos, S. Luiz, Dona Maria II, et Trindade.

Les grandes dates :

            1735 à 1755 (année du tremblement de terre) : Première tentative d’implantation  d’un  Théâtre Populaire de l’Opéra à Lisbonne (l’Académie da Trindade).

1866 : Le théâtre naît à l’initiative de Franscisco Palha, un imprésario, homme de lettres et directeur théâtral.

1867 : Le Salon da Trindade, contigu au Théâtre et ouvre ses portes sur des salles de bals, de concerts et conférences.

30 novembre 1867 : Le Théâtre est à son tour inauguré lors d’un gala d’honneur en présence de la famille royale et devient rapidement un endroit élégant de la capitale.

1921 : l´Anglo Portuguese Telephone Company acquiert le Salon da Trindade et procède à sa démolition.

Pour éviter un destin identique au Théâtre et bien que sa structure originelle ait été dilapidée, un imprésario, José Loureiro, négocie son achat auprès de la compagnie anglaise des téléphones.

 

1924 : Le théâtre  ré-ouvre au public  après quelques réaménagements.

 

1940 : A partir de cette date, il héberge des compagnies théâtrales de la plus grande importance.

 

1962 : Il doit cependant sa survie à la FNAT : Fundaçao Nacional Para a Alegria no Trabalho (institution de l’état) qui l’acquiert et INATEL (Instituto Nacional para o Aprovameito dos Tempos Libres dos Trabalhadores) qui lutte pour lui donner vie et dynamisme.

S’y sont produit depuis, des artistes comme Astor Piazzolla, Mario João Pires, Joséphine Baker, Gilbert Bécaud, Amália Rodrigues et bien d’autres.

 

 

  1. III.             « A Noite »

 

Ambiance :

 

A peine installée je suis captivée par le décor et l’ambiance de cette pièce…

Une grande bibliothèque remplie de dossiers en fond de scène ; 5 bureaux avec des machines à écrire et téléphones d’époque à l’avant et un bureau bien plus beau que les autres  sur une estrade à droite.

 

Certains  comédiens sont déjà sur scène à rédiger des articles ou à débattre entre eux discrètement. On ne sait pas ce qu’ils se disent mais petit à petit  la salle entre dans l’univers d’un journal à Lisbonne une certaine nuit du 24 au 25 avril 1974….

 

 

 

 

 

 

 

 

Les personnages :

 

(La disposition des bureaux de chacun  me ferait penser à ça 🙂

A droite 

 

Le chef de la rédaction, un habitué et satisfait de la façon de travailler depuis toujours dans le journalisme. Il accepte la censure des textes sans se poser de questions.

Le directeur, un conservateur dont la soumission au pouvoir politique à permis l’ascension de sa carrière.

La secrétaire de rédaction, une conservatrice et fervente du système installé dans la rédaction du journal.

Le rédacteur parlementaire dont ses textes sont ordonnés en faveur du régime et qui,  pour aller loin dans sa carrière sait de quel côté se positionner…

Tous ne défendent que leurs propres intérêts.

 

A gauche 

Le rédacteur de la province, un journaliste de cœur et d’âme qui ne tolère pas qu’un journal puisse être constamment manipulé par le régime et lutte pour que la vérité soit sur les pages de « son » journal.

Il est épaulé par la jolie stagiaire qui lutte aussi pour le « vrai journalisme » et complice avec le chef de l’imprimerie qui menacera souvent  le bon fonctionnement du journal (« sans machine, pas de journal ») lors des conflits avec la direction.

 

Sans parti pris

 

Le coursier qui fait les allers-retours entre la rédaction et le régime politique pour y apporter les textes et recevoir validation ou non avant toute impression.

Il boite et sa façon de marcher vise à ironiser sur l’état du pays.

Il essaie d’avoir une attitude neutre même s’il en sait bien plus qu’il n’en à l’air….

Le rédacteur des sports, un jeune charmeur qui ne prend aucune position lors des conflits.

 

L’action :

 

La routine d’un journal avec des camaraderies bon enfant, une histoire d’adultère et des conflits qui semblent habituels va  se transformer en micro révolution au fil de la représentation

 

Les tensions  entre le journaliste de cœur attaché à la vérité et la direction conservatrice, soumise au régime politique montent en puissance lorsque la rumeur arrive : « les militaires se révoltent dans la rue… ».

Tandis que l’incertitude et l’inquiétude grandit par manque de  preuve dans la rédaction, notre journaliste fervent de vérité descend dans la rue en avoir le cœur net et revient confirmer la véracité de cette rumeur.

 

Malgré la preuve des faits,  la ténacité du journaliste et de son allié le chef de l’impression, quelle vérité va gagner ?, L’information fera t’elle la Une du journal le lendemain ?

 

 

 

 

 

 

 

Rien de ce qui se passa cette nuit là n’apparaitra dans le journal le 25 avril.

 

Par peur des représailles, la direction empêche toute divulgation et met sous silence ce qui fut l’un des tournants les plus importants de  l’histoire du Portugal.

 

On apprendra bien plus tard que la musique passée régulièrement à la radio cette nuit là est en fait un code entre militaires : c’est l’appel à  la révolution !

 

            L’auteur :

 

            José Saramago, écrivain et journaliste né en 1922 à Azinhaga (Portugal) décède d’une leucémie en 2010 à Lanzarote (îles Canaries).

 

Son premier roman paraît en 1947 : Terre du péché (Terra do pecado).

 

Cet écrivain qui révolutionne la manière de penser et libère les consciences d’une culture pauvre d’esprit attendra 20 ans pour s’imposer dans le milieu littéraire.

Il collabore avec de nombreux journaux portugais dont Diário de Notícias pour lequel il écrit des chroniques, des poèmes et dont il fut directeur adjoint durant un temps.

 

En 1982, son roman Le Dieu manchot (Memorial do convento) lui apporte, à 60 ans, la renommée internationale ainsi que le Grand Prix du roman du Pen Club en 1984. Il reçoit également le prix Camoes.

                   En 1998, il obtient le prix Nobel de la  littérature.

 

Pour finir :

 

A l’occasion des 15 ans de l’attribution du prix Nobel de José Saramago et en hommage à ce grand écrivain, la marque de vin « Casa Ermelinda Freitas » à offert à chaque spectateur  une petite bouteille de vin, soit plus de 11000 bouteilles !

 

Succès bien mérité pour cette équipe dont la générosité transporte avec elle une émotion à donner des frissons !

 

A l’aube de la commémoration des 40 ans du 25 avril, « A noite » offre la possibilité d’éveiller les consciences endormies et rappelle que la liberté est un droit qui n’a pas de prix…

 

 

 

Sandrine Clémente